Ce que les journaux écrivent sur l’apiculture n’engagent que ceux et celles qui y croient. Les échanges que j’ai eues avec mes amis apiculteurs sarthois ces dernières semaines, me laissent perplexe sur la réalité des titres de certains journaux*. Comme dit le dicton « il ne faut pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué ». Ce qui veut dire qu’en matière d’apiculture, il faut être très prudent quand on veut estimer avant l’heure la production de miel. En d’autres termes, je ne suis pas aussi optimiste que les journaux qui ventent des récoltes exceptionnelles de miel ou qui prédisent des records de production. Certes nous avons eu un démarrage printanier excellent, les abeilles ont bien travaillé je ne vais pas le nier. Pour le vérifier il n’y avait qu’à constater la vitesse avec laquelle les corps des ruches se sont remplis rapidement au mois d’avril et mai. Ceci dit, il faut aussi dire que ce phénomène n’était pas homogène partout en France. La France est un grand pays, les régions du sud de la France par exemple, n’ont pas profité autant du soleil que les régions du nord. Les abeilles du Sud ont moins produit de miel que leurs cousines du centre et du nord. Les journaux ne s’intéressent pas à ces différences car pour eux tout est pareil, la surproduction est générale. En fait, à mon avis il y a deux raisons qui expliquent cette surproduction en trompe l’œil. Durant la crise sanitaire, les journaux voulaient rassurer les gens en leur faisant oublier l’effet anxiogène de la crise. La stratégie pour y arriver était de dire que le confinement a un impact positif sur la faune et la flore. Que le sacrifice des hommes était bon pour la nature, en respectant le confinement, les hommes respectaient plus la nature. Bref qu’il y avait une sorte de compensation, ce qu’on perdait d’un côté on le récupérait de l’autre. Evidemment dit comme çà on accepte mieux et on vit mieux le confinement au niveau moral. Les journaux apportaient tous les jours de nouvelles preuves des bienfaits du confinement sur la nature. Chaque signe qui montrait que la nature redevenait sauvage ou s’affranchissait du caractère domestique dans laquelle l’homme l’avait confinée était interprété comme la preuve que le confinement des hommes jouait en faveur de son épanouissement. Les médias nous ont expliqué que les abeilles butinaient plus et qu’elles étaient plus productives et que les renards et les biches étaient moins farouches qu’ils n’avaient plus peur de s’aventurer dans les jardins des pavillons, que les animaux des zoos ont retrouvé le calme et la sérénité en n’étant plus dérangés par les visiteurs et surtout qu’on pouvait désormais partout écouter le chant des oiseaux toute la journée… Tous ces signes étaient des preuves pour affirmer que le confinement était une aubaine pour la faune et la flore. En fait, l’idée qui se cache derrière ces analyses est que l’activité humaine est contre la nature, que l’homme n’y a pas à sa place en réalité. Quand l’homme s’efface de la nature, la végétation et les animaux retrouvent leurs droits et la liberté. Mais ce n’est que provisoire, le confinement n’est pas voué à être permanent. Le confinement est juste un répit pour la nature. C’est une sorte de petit cadeau du hasard, que l’homme n’avait pas prévu de faire, mais un cadeau quand même. Bien sûr, dans « le monde d’après le confinement » l’homme reprendra ses droits d’envahisseur et de prédateur. Il voudra toujours garder le sentiment qu’il contrôle la nature. Il aura évidemment oublié que c’est la nature qu’il l’aura obligé à se confiner. Que c’est elle en réalité qui a le dessus sur lui. Les journalistes expliquent que l’arrêt de l’économie a été une cause directe de la « surproduction de miel ». Comme si les français étaient des empêcheurs de tourner en rond pour les abeilles. Mais les abeilles n’ont que faire des activités humaines à partir du moment où elles ne les empêchent pas d’aller sur les fleurs. Le confinement n’a pas une cause directe sur la réduction des épandages dans les champs, de même ce n’est pas parce qu’il y avait moins de personne dans les rues et les parcs que les abeilles ont pu voler et butiner plus tranquillement parce qu’elles ne rencontraient pas d’obstacles sur leurs trajectoires de vol. Si vraiment les journalistes avaient raison alors comment expliquer toutes les bonnes récoltes de miels qu’on a eues avant 2020 ? Non, l’explication est ailleurs et on doit se rappeler un peu des comportements humains dans une économie de crise pour trouver la deuxième explication de la surproduction de miel au début du printemps. Revenons au début du confinement, que s’est-il passé ? Qu’avons-nous vu ? Les français se sont rués dans les magasins pour faire des provisions et des stocks de denrées parce qu’à ce moment-là précisément personne ne pouvait dire combien de temps allait durer la crise. Dans la panique, les français ont pensé qu’il valait mieux faire des stocks de sécurité comme en temps de guerre. Dans leurs esprits c’était logique et évident, c’était une mesure de bon sens. Eh bien pour les abeilles c’est à peu près la même chose. Le printemps c’est la période où la nature est très mellifère, la première moitié du printemps a été très propice au développement des fleurs. Pendant trois semaines on a eu un beau temps dans le centre et le nord de la France. Les abeilles en ont profité pour constituer des réserves. Elles savaient sans doute, grâce à leur sens, que la deuxième moitié du printemps allait être pluvieuse et venteuse et orageuse. En temps de pluie, les abeilles ne sortent plus elles sont confinées dans les ruches et elles consomment le miel qu’elles ont stockées pendant les beaux jours de printemps. Mes amis apiculteurs confirment que quand on ouvre les ruches aujourd’hui on constate que le remplissage de miel dans les hausses est moins rapide qu’au début du printemps. Les abeilles consomment le miel qu’elles ont provisionné au printemps. La récolte 2020 est à ce stade très incertaine !
*Une récolte de miel exceptionnelle après un printemps … www.lesechos.fr le 06/05. Miel : la récolte 2020 pourrait battre des records. www.ouestfrance.fr le 20/05. Miel : des indices encourageants pour la récolte de 2020. www.sudouest.fr le 25/06
© 2019 | All Rights Reserved.